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En me glissant dans un public de retraités tempéré d’une poignée d’étudiants en cinéma, j’ai profité d’un petit festival local pour revoir, sur grand écran, le chef-d’oeuvre charnière de Fellini, “8 ½”. C’est là qu’il a délaissé définitivement tout néoréalisme social sous l’effet d’une psychanalyse jungienne, une bonne partie du style étant déjà en place, pour basculer dans le rêve. Le pitch est simple : tout en entamant une cure thermale, un réalisateur en mal d’inspiration se dépêtre péniblement entre son film qui n’avance pas, sa maîtresse, sa femme et ses souvenirs d’enfance où il espère puiser un peu d’inspiration.

De manière voulue, l’histoire n’avance pas vraiment dans un ballet de personnages épuisants entre une réalité sans issue, des rêves, des songeries et des souvenirs qui maintiennent le personnage central dans sa dépression évidente. Si ce n’était l’un des plus beaux rôles de l’immense Mastroianni, on y verrait bien Bill Murray (encore que sans la gaieté feinte constante du beau Marcello, quand il n’essaie pas de se cacher ou qu’il est filmé de dos, cela n’aurait pas tellement le même sens). En fait le sens viendra au retournement final, qui tient et touche à l’esthétique et non à un quelconque “twist” d’intrigue, comme métaphore d’une libération qui va au-delà d’une simple psychanalyse. Les thèmes récurrents du mensonge et de la pureté, liés à certains personnages de proches, introduisent le doute indispensable : au fond Fellini ne se bornait pas à parler de lui, et l’on peut s’amuser à trier ce qui ne correspond pas à là où il en était au moment où il faisait ce film.

La mise en scène est évidemment typique du maestro, aimant la fumée et le vent, farcie de détails qui donnent des clefs pour mieux y rentrer. Mais le grotesque n’est pas écoeurant comme cela sera plus tard à mesure qu’il redeviendra pessimiste, En premier lieu ce sont ce noir et blanc à forts contrastes, où le réalisateur se déplace toujours en costume monochrome, et quelques plans séquences brillants. Nino Rota à la musique donne un de ses nombreux thèmes passés à la postérité, mais on retrouve aussi un certain air wagnérien que la postérité associera définitivement plus tard à une autre scène encore plus célèbre d’un collègue américano-italien.

Il y aurait encore beaucoup à dire rien que sur ce film. Le statut de Fellini est à mon avis pleinement justifié.

« I comme Icare » est un Verneuil tardif encore assez typique. Dans un pays imaginaire, Montand joue le rôle d’un procureur intègre qui reprend l’enquête sur l’assassinat du chef de l’état après avoir été membre de la commission collégiale dont le travail ne le satisfait pas du tout. Evidemment l’intrigue s’inspire fortement de la commission Warren après la mort de JF Kennedy, en y donnant un côté « Z » renforcé par la composition de Montand… Le détour central par la fameuse expérience de Milgram donne un peu de profondeur à un thriller des années Giscard filmé avec métier mais sans relief particulier. C’était le film politique culte d’un ancien camarade de lycée, qui n’avait encore pas vu grand chose alors.

« Cobra Verde » est la dernière collaboration entre Herzog et Kinski. Elle raconte l’histoire du dernier trafiquant d’esclaves d’Afrique noire vers le Brésil. Le montage est sec, Kinski est terrifiant. Le sujet permet d’explorer une fois encore les aspects les plus primaires de l’être humain, les moteurs profonds que l’on ne veut plus voir, et surtout comment tout un vaste système aussi malfaisant peut s’instaurer quand plusieurs y trouvent leur compte. Un film pareil restera éternellement vrai et nécessaire tant il dérange.
Maintenant il faut que j’attrape le documentaire sur le tournage, ce qu’on voit du produit fini laisse deviner quelque chose d’hallucinant !

Le film suivant de Verneuil, Mille milliards de dollars, est tout autant recommandable. Et l’un comme l’autre seraient accusés aujourd’hui de « complotisme ».

Verneuil n’avait pas beaucoup de personnalité mais il savait s’entourer. Je préfère ses films des 60’s à ceux plus tardifs, ils ont une certaine valeur esthétique qui s’est ensuite perdue vers des productions trop populaires. Mais ça me botte déjà mieux que la nouvelle vague.

Mes rares films du moment…

Il était une fois à hollywood
Au ciné, et je me suis bien emmerdé, longuet, il ne se passe rien, une perte de temps inutile. LE pire c’est que je l’attendais avec impatience. Ça fait au moins 4 ou 5 films que Tarantino fait de la merde en fait.

Parasite
Chopé sur le net avec une bonne qualité d’image mais en Coréen sous-titré et les sous-titres ont manifestement été traduits avec Google Translate, c’est imbitable mais compréhensible.
Film chelou et assez plat mais avec tout de meme un coté accrocheur. C’est limite anthropologique, une étude de cas de la mentalité coréenne avec des rapports sociaux universels.

Les nuits blanches” est un petit film de Visconti coincé entre sa première grande production historique en couleurs (“Senso”) et le mythique “Rocco”. Il transpose une nouvelle de Dostoïevski dans une ville imaginaire de l’Italie des années 50 avec Mastroianni et Jean Marais dans les principaux rôles masculins et Nino Rota à la musique. Le beau Marcello incarne un promeneur noctambule qui va rencontrer une blonde en larmes mystérieuse et s’embarquer dans une belle affaire de friendzonage, comme on dirait de nos jours.

Tourné entièrement à Cinecitta, les décors, les scènes presque entièrement nocturnes et le noir et blanc donnent un côté très onirique et fellinien à ce film qui reprend le thème clé de l’art et des rêves qui mentent. Il se détache des oeuvres historiques et politiques habituelles du cinéaste, par une histoire banale et contemporaine, mais sans le réalisme affecté à la mode chez nous à la même époque (ce qui est un comble !). Cependant, la critique sociale est présente dans le décor et aux marges. La rigueur de la mise en scène peut s’apprécier à plusieurs reprises sur des plans intimes comme d’autres plus complexes. Les oeuvres secondaires réussies des grands maîtres sont autant de petits plaisirs fort aimés des gourmets.

Avec René Clément on était sûr d’avoir un film bien fait, et “le passager de la pluie” n’y déroge pas. Mettre ensemble Annie Cordy et Charles Bronson n’est pourtant pas gagné, sur le papier. Le scénario de Sébastien Japrisot (avec lequel il a pas mal collaboré) raconte comment une jeune femme qui a tué l’homme qui l’a violé voit arriver un étranger inquiétant qui semble beaucoup s’intéresser à ce qu’elle pensait avoir parfaitement dissimulé.

On retrouve avec plaisir des éléments qui avaient fait le chef-d’oeuvre “Plein soleil” : des identités trompeuses, un meurtre à dissimuler, les lumières d’une région méditerranéenne. L’intrigue est bien construite et ne laisse jamais un détail qui ne prenne sens plus tard. Mais c’est surtout la parfaite maîtrise formelle qui est appréciable : les cadrages, le son, la mise en scène bien sûr, la direction des acteurs qui ne commettent aucun cabotinage.

On a souvent critiqué René Clément pour avoir presque toujours adapté les romans et scénarios écrits par d’autres et pour cette réalisation qui n’aurait pas d’âme, aucune esthétique personnelle en plus de se contenter. Pour le premier point on rappellera que Kubrick faisait pareil, et pour l’autre je constate que cette perfection entretient une impression de distance par rapport aux faits qui n’est pas fortuite et qui constitue un certain rapport au monde.

Inception de Christopher Nolan
Divertissement haut de gamme, acteurs et réalisation au top (quel casting ! ), musique de Hans Chambre : excellente.
Je pensais que le scénario était inspiré par Christopher Priest (Nolan a déjà adapté un de ses livres) mais en fait non … Ca pourrait , en tout cas…

Jeune et jolie” est un film assez récent d’Ozon qui nous raconte l’expérience d’une lycéenne parisienne, d’un milieu moderne et plutôt aisé, qui se prostitue en douce par internet. On aime bien rapprocher Ozon de Buñuel à cause de son goût pour la provocation sexuelle, paraît-il plus franche dans ses premiers essais que je ne connais pas. Mais pour ce que j’en ai vu avant et encore sur ce film, il porte vraiment plutôt l’héritage d’une certaine nouvelle vague bien de chez nous : une charge antibourgeoise à la Chabrol et un vérisme formel à la Truffaut. Mieux, il se rattache encore plus fortement à ce dernier par son affection pour les jeunes et une certaine passion pour les femmes, même si chez lui c’est un goût entomologique plutôt qu’une fascination érotique. La brouette de scènes bien crues conforte cette impression.

Il faut reconnaître que la critique d’une certaine bourgeoisie moderne est assez bien menée : la double vie dangereuse d’une gamine assez vide met à jour l’hypocrisie des vieux richards lubriques mais aussi ce que les membres de sa famille voudraient laisser sous le tapis. Seuls certains camarades de son âge suscitent un peu de sympathie.

Adapter des comédies de théâtre ne demandait pas de grands efforts pour un réalisateur professionnel, surtout quand il pouvait se reposer sur des castings exceptionnels. Si à côté il fait des drames sociaux sans esthétique particulière et surtout sans y apporter un regard propre, se contentant d’amener tel quel un sujet contemporain sur la toile pour que les gens en parlent (et viennent le voir), je ne crois pas que ça exige beaucoup d’efforts non plus. On comprend qu’Ozon puisse pondre un film tous les dix-huit mois depuis si longtemps et marche bien en termes d’entrées. Mais sauf évolution brutale, sa contribution au cinéma en tant qu’art restera assez limitée.

Cela m’était déjà arrivé : je repense à Truffaut et je me dis qu’après tout avec son côté littéraire et ce mélange de légèreté et de mélancolie, il est un peu plus touchant que tous ses collègues de cette Nouvelle Vague que je n’aime pas beaucoup. Plutôt qu’une école vraiment cohérente, j’y vois une génération d’anciens critiques qui sont passés à l’action en continuant à se soutenir les uns les autres afin de s’assurer de prendre la place de l’ancienne caste qu’ils descendaient avec affectation.

Alors je suis allé chercher “Les deux Anglaises et le continent” autre adaptation d’un roman de Roché après “Jules et Jim”, qu’il considérait comme son chef-d’oeuvre malgré un succès public modeste. Il s’agit encore une fois d’un triangle amoureux, mais à l’inverse de l’autre c’est cette fois un jeune parisien qui va et vient entre deux soeurs Galloises (et non Anglaises), avec de fortes adjonctions autobiographiques soulignées par la présence de Jean-Pierre Léaud son double attitré à l’écran.
On se prend un peu à l’histoire de ce jeune homme égoïste et faible de caractère, même s’il est également lassant de tourner encore et toujours autour des mêmes obsessions féminines rebattues. Et puis j’aime bien dès que ça se passe à la Belle Epoque. Truffaut s’inspire même parfois de la peinture de cette période. Cependant une fois de plus ce film reflète en réalité l’esprit du temps où il a été fait, plaqué sur une époque antérieure. La mise en scène est impeccable et froide. Mais ressort toujours cette étrange austérité du montage par ses ellipses fréquentes, par l’abus de voix off et de monologues face caméra confirmant l’âme littéraire de toute une oeuvre et a malheureusement légitimé durablement une façon de faire asséchante auprès des générations suivantes.

D’un point de vue global on peut goûter un semblant de profondeur intime dans tous ces films. Mais les effets néfastes de cette focalisation permanente sur une certaine obsession qu’une grande partie de l’humanité peut comprendre est infiniment alourdie par la réutilisation trop fréquente du même pitch. Une fois de plus j’en ressors avec la conviction que tout ça est assez surévalué, que tous ces gens ressortent avec le recul mal placés pour avoir donné tant de leçons… et que je devrais arrêter d’aller explorer des territoires ennuyeux en espérant trouver enfin ce qui me fera comprendre ou aimer, comme ce fut le cas pour d’autres mais après deux ou trois films seulement.

Qu’il est bon parfois de voir un avis parfaitement conforme au sien!

La Nouvelle Vague jouit encore d’une aura parfaitement inverse à sa qualité cinématographique encore aujourd’hui.

Dis comme ça, c’est un peu radical (j’aime certains Truffaut, Eustache, Rohmer ou Varda si je suis de bonne humeur) mais que de prétention, de nombrilisme, d’entre-soi, d’effet de manche au détriment de l’histoire et de défaillances purement techniques.

Ce n’est pas radical, il est juste question de faits. Il faut être Slayer pour se permettre de casser les prédécesseurs de la sorte, ce n’est pas donné à n’importe qui. Je serais moins dur s’ils avaient été modestes. Je reste persuadé que cette arrogance a laissé des traces même dans la société.

C’est pour des raisons semblables que Tarantino m’agace depuis un bon moment alors que j’avais adulé ses premiers films comme toute ma génération. Il critique vertement tout ce qui lui est étranger alors qu’il est au coeur des institutions établies, il récompense ses ex et ses amis quand il est dans un jury en pondant des films désespérément verbeux et autoparodiques.

Concernant Truffaut c’est cette ressemblance trop lourde entre tous ses films qui me gave, du moins pour ceux que j’ai vu. Au moins « La nuit américaine » a l’intérêt de faire passer de l’autre côté de l’écran et « les 400 coups » privilégie l’affection du cinéaste pour les enfants plutôt que ses questionnements libidineux au lieu de l’inverse par la suite.

Le drame est que notre culture est profondément marquée par cette bande, et leur conception du cinéma. Ils ont largement influencé les générations suivantes, voire les réalisateurs de téléfilms et même les attentes du public pendant une longue époque. Moi-même j’ai attendu vingt-deux ans environ pour comprendre que le cinéma n’était pas que du roman filmé, ni du théâtre en situation, et que les grands cinéastes adultes n’étaient pas forcément ceux qui racontaient une histoire vraisemblable dans un décor réaliste.

De Haneke je n’avais vu que “Le ruban blanc”, et assez apprécié. À l’époque “La pianiste” avait fait un peu scandale et ça semblait le bon film pour aller un peu plus loin.
Dans une Vienne (Autriche) étonnamment francophone, une professeur de piano au Conservatoire maltraite psychologiquement ses élèves volontiers et partage sa vie privée entre la mère possessive chez qui elle vit encore et la fréquentation des sex-shops pour épancher une sexualité qui est logiquement déviante. On imagine comme ça pourrait dégénérer si un de ses élèves finissait par tomber amoureux…
C’est un film puissant en matière de violence suggestive, tant physique que mentale. La pudeur affectée pour mettre en scène des gestes traumatisants maintient le spectateur hors de toute complicité, mal à l’aise plutôt qu’attiré par la provocation. Cette distance procure à d’autres moments une forme d’humour très noir. Le SM me suscitant force pitié et peu d’envie depuis toujours, je crois que je n’aurais pas su prendre ce film pour ce qu’il est si je l’avais découvert plus jeune.
Isabelle Huppert est remarquable pour le rôle, effrayante ou pathétique dans le parfait tempo, elle porte ce drame à un niveau qui n’était pas gagné d’avance, même si Girardot en vieille mère est pas mal non plus. Rien que sa performance vaut le détour, je ne suis pas spécialement fan de cette actrice mais on comprend qu’elle soit autant admirée au-delà de nos frontières.
L’histoire, tellement réaliste et banale qu’on la croirait tirée d’un fait divers et non d’un roman, rappelle aussi bien que dans l’autre film que j’avais vu la violence couvant dans des rapports sociaux très hiérarchisés et codifiés en vue d’un idéal très exigeant. Il ne s’agirait que d’un rappel classique aux réalités de la sexualité perverse et des relations parentales dysfonctionnelles… Vienne est autant la ville de Freud, Jung et Zweig que de Schubert et autres compositeurs cités. Une scène a été incontestablement repompée par Aronofsky pour “Black Swan”. Je ne m’attendais pas enfin à un épilogue laissant des questions ouvertes, comme pour “Le ruban blanc” encore.

Sans retrouver les sentiments de séduction éprouvés au commencement de la découverte d’oeuvres cinématographiques, il y a indubitablement une cohérence et une évolution dans le travail de Haneke. Pas le genre de cinéma que j’aurais aimé faire si j’avais du talent, mais il maîtrise son métier et y apporte sa pierre c’est certain.

Comme tout lecteur je pense, “Le roi des aulnes” de Michel Tournier m’avait assez intrigué autour de l’inoubliable Abel Tiffauges. L’adaptation faite par Volker Schlondorff est assez fidèle mais le réalisateur y met quand même bien sa patte. La partie en France est survolée un peu trop rapidement à mon avis, au profit évidemment de la partie allemande qui l’intéresse plus. L’évocation des Napola sur un ton plus burlesque que le livre, sous le regard innocent d’un homme resté lui-même en enfance, évoque lourdement “Le tambour”, dont l’accessoire revient d’ailleurs souvent.

Si je préfère la focalisation sur le personnage principal du roman, celle sur la nature d’un
internat aux apparences si joyeuses et l’ambiance du nazisme quand tout va bien pour lui a aussi sa pertinence, et on ne saurait en vouloir à Schlondorff de poursuivre la thérapie nationale. Malkovich porte très bien le personnage et compense ce rééquilibrage, même si l’original a un physique plus imposant en principe. D’ailleurs cela m’a rappelé qu’il fallait que j’achète “The New Pope”.

Comme David Lynch n’a plus sorti un nouveau film depuis une quinzaine d’années (il n’y en aura certainement plus jamais), je me demandais depuis un certain temps si j’aimais toujours son oeuvre, dans laquelle je ne m’étais plus replongé depuis fort longtemps. J’ai choisi pour cela “Mulholland Drive” que j’avais adoré au cinéma.
Et tout va bien, je me suis régalé à me replonger dans cet univers si singulier, cette si belle photographie - sottement abandonnée pour l’ultime oeuvre - et ces plans composés comme des peintures, qui ne doivent pas faire négliger l’importance aussi du travail sonore, musique comprise. Plus on revoit ces films et mieux on rentre dedans. Même des années après l’on peut saisir un grand nombre de détails, si l’on se souvient du pitch complet, certains revenant d’un film à l’autre avec des fonctions similaires. De même je goûte mieux maintenant l’humour de Lynch, que je voyais avant comme des parenthèses obligées, alors que cela fait pleinement partie de son monde.

Mulholland Drive je dois pouvoir le revoir une fois par an sans me lasser
Il y a deux ans j’ai même eu le plaisir de le revoir sur grand écran lors d’une reprise… Un régal !

Je ne connais pas bien Bergman, que j’ai découvert tard et qui a fort pâti de ma période de douze ans de désintérêt pour le cinéma. Avec « Sonate d’automne » j’ai retrouvé les souvenirs que j’en avais.
En Norvège, les retrouvailles entre une femme et sa mère âgée tournent au grand déballage pathologique. La mère pianiste de concert vient revoir sa fille après des années d’ignorance, quand elle se retrouve veuve une deuxième fois, parenthèse dans une vie de voyages constants d’un concert à un autre à travers l’Europe qui lui avait déjà fait délaisser son foyer. La fille s’est mariée à un pasteur discret et a recueilli l’autre fille lourdement handicapée, et ne se remet pas de la mort accidentelle de son jeune fils.

Les thèmes habituels de Bergman sont bien là : la mort est omniprésente, l’incapacité à aimer, les relations familiales et leurs grandes conséquences intimes sont au cœur d’un film violent en paroles. L’actrice fétiche de l’auteur (Liv Ullman) et son immense homonyme (Ingrid Bergman dont ce doit être l’un des ultimes films) sont remarquables. Elles portent ce quasi huis clos mis en scène d’une façon rappelant le théâtre que Bergman affectionnait . C’est austère, mais c’est plus intéressant que bien d’autres œuvres.

Privé de sorties vespérales, on a le temps de regarder des films.

Je n’étais pas allé voir « Pentagon Papers » de Spielberg au cinéma il y a trois ans. Avec Meryl Streep et Tom Hanks, ce film revient sur les tentatives de censure de la presse par l’administration Nixon lors des révélations de ce qu’elle avait connaissance de l’impossibilité de gagner la guerre du Viêt-Nam. Le sujet est bon et un réalisateur de talent peut pondre son thriller politique sans que ça coûte beaucoup d’efforts. C’est le cas ici, on se prend à l’affaire sans s’intéresser beaucoup à la forme très professionnelle mais sans guère de saveur, à part un recours discret mais constant à la métaphore de transparence par des vitrages omniprésents dans les décors. La griffe de Spielberg se limite à l’éternel retour de quelques vieux traits de style bien à lui, comme le goût de filmer des foules et de mettre des enfants qui vivent leur vie au milieu de l’histoire. Le père Steven insuffle d’habitude une part intime à ses films plus politiques, qui se limite ici aussi à un féminisme assez finement mené mais trop dans l’air du temps pour ne pas être suspect de conformisme, et des questionnements déontologiques tout autant transposables à l’époque actuelle. C’est pas mal dans son genre, mais avec Oliver Stone à la direction cela aurait été plus brillant.

« Sandra », ou « Vaghe Stelle dell’Ostra » est le film que Visconti a réalisé immédiatement après « Le Guépard ». C’est une œuvre à petit budget (pour des critères viscontiens…) en noir et blanc. Le personnage de Claudia Cardinale emmène son mari américain dans la ville de Toscane (Volterra) où elle a passé son enfance, au palazzo de feu son père, somptueusement meublé. Y demeure encore le frère, un petit viveur à l’affection très ambiguë qui s’est mis à écrire un roman autobiographique. On doit inaugurer l’ancien jardin particulier cédé à la municipalité, en mémoire du père qui avait survécu à la déportation. Mais dans l’intervalle il faut se plonger dans les cloaques d’une histoire familiale que le mari veut connaître, pour mieux comprendre sa femme qu’il aime.
Sur un format plus restreint on retrouve les thèmes habituels du maître : le pourrissement du monde ancien, le mensonge néfaste de l’art moderne, la rupture destructrice des tabous séculaires. On regrette que ce ne soit pas en couleur vu la beauté des décors (et je ne vise pas qu’une Cardinale toute en volupté…). L’œuvre s’achève un peu moins pessimiste voire un grain moins misogyne que d’habitude avec lui. Sans être essentiel, c’est typiquement un beau petit film de la part d’un géant.

J’ai un vrai problème avec Antonioni, qui persiste quand je lui redonne une chance. “L’avventura” est un film de 1960, tourné dans des conditions chaotiques qui est encore célébré aujourd’hui comme un monument du cinéma. Sandro et Anna sont fiancés et participent à une croisière en Sicile avec des amis. Au cours d’une sortie sur l’une des îles Eoliennes, ils ont une brève dispute après laquelle Anna disparaît. Introuvable. Rapidement, Sandro va se rapprocher de Claudia, la meilleure amie de sa fiancée volatilisée qui participait aussi à la croisière, partageant ensemble une peine intense. Bien évidemment, cette communion va déraper et les entraîner dans un torrent sentimental difficile.

C’est remarquablement mis en scène, Antonioni était le précurseur de la manière actuelle de filmer de manière aérée, souple, suivant les rythmes naturels des mouvements ou des conversations, avec assez peu de musique car le son a de l’importance pour certaines scènes. Il parvient à transmettre ne serait-ce que par la forme une saveur de solitude grandissante à mesure que le film avance, en laissant les plans devenir subtilement de plus en plus dépouillés (on le remarque dans d’autres oeuvres). On dirait que ça vient de sortir tellement c’est contemporain, malgré les décors authentiques de la Sicile il y a soixante ans. L’histoire est mystérieuse, littéraire, à la frontière du rêve mais de façon peu fellinienne (bien que compatriote Antonioni ne s’est d’ailleurs jamais rattaché au mouvement néoréaliste en aucune façon, au-delà du fait que la plupart de ses films étaient tournés en Italie).

Ce qui m’agace avec ce film qui est objectivement un chef-d’oeuvre classique, c’est que je n’aime pas son rapport au monde ni les personnages qui y évoluent. Une fois de plus chez lui ils sont peu sympathiques, faibles, essayant désespérément de communiquer entre eux, ils réfléchissent après avoir agi pour se demander pourquoi ils ont fait ainsi… C’est typique du courant intellectuel en vogue à cette époque, ça rappelle des choses faites de notre côté des Alpes à la même époque, mais c’est à l’opposé de ma façon de voir la vie. Et tous les films que j’ai vus d’Antonioni m’ont laissé dans cet état.

Ayant enfermé Clint Eastwood dans le tiroir du réalisateur de films d’hommes, un peu comme Melville, depuis mon adolescence, j’avais soigneusement évité "Sur la route de Madison" pour son pitch sentimental. Et puis un jour on se dit qu’après tout il s’est montré largement capable de raconter en finesse au fil d’une oeuvre très nourrie, et au diable les a priori.

Meryl Streep incarne extraordinairement la mère de famille morfondue subitement saisie par un violent coup de foudre. Avec elle, nul besoin d’effets musicaux appuyés ni d’une mise en scène personnelle. Le fait qu’elle ne soit guère crédible en Italienne se fait complètement oublier. L’histoire se déroule de façon très prévisible d’une étape à l’autre, mais n’en oublie aucune, et les aborde avec justesse. La sobriété vériste et classique qui est la marque du grand Clint confère une certaine universalité à cette histoire. C’est presque pédagogique.

C’est pourquoi beaucoup de spectateurs ont pu être émus en y reconnaissant au minimum sur un ou plusieurs détails quelque chose de leur propre vie, ou de leurs aspirations intimes. En se bornant à une histoire très simple, entièrement vraisemblable, mais complètement développée, c’en est que plus troublant. Typiquement, ce n’est certainement pas la romance de cinéma qui m’aura le plus bouleversé, mais il me paraît difficile de rester parfaitement indifférent, à moins d’être resté prépubère éternel.