Numenorean - Adore

Originally published at: https://www.eklektik-rock.com/2019/05/numenorean-adore/



Il m’a fallu un peu de temps et plusieurs écoutes pour succomber devant Adore, deuxième album des canadiens de Numenorean, groupe monté en 2011 par les frères Lemley, Brandon et Byron. Pourtant aujourd’hui, je m’enfile ses 43 minutes pour la (probablement) 15ème fois ou pas loin, et clairement elles passent en un éclair et j’en viens à trouver ce formidable album trop court. La magnifique pochette n’est certainement pas étrangère à mon insistance et à mon retour régulier vers ce disque. Numenorean avait déjà pu marquer les esprits avec la pochette de leur précédent album, évocatrice, choquante pour certains, mais finalement ô combien poétique et connectée à l’esprit voulu par le groupe (pour faire simple : la vie = souffrance, la mort = délivrance).

C’est que le post black est un style qui me tire habituellement bâillements sur bâillements, le genre étant souvent synonyme de titres qui s’étirent en longueur et dans lequel les groupes, sous le couvert d’une sensibilité pseudo-artistique passent beaucoup trop de temps à se regarder jouer, et pas assez à balancer la purée. Numenorean ne s’inscrit pas dans cette tendance, et c’est d’ailleurs pour ça que j’ai autant de réticence à qualifier sa musique de post black (même si on ne peut nier un lien évident). Il y a certes une légère base black (moderne) et la voix de Brandon Lemley n’y est pas étrangère, son registre principal étant un chant arraché proche du black effectivement (et bien moins pénible et linéaire que celui de Deafheaven, s’il faut faire des comparaisons en restant dans le post black). Autre élément caractéristique du black, quelques parties de guitare en tremolo sur des blast beats, audibles dès l’excellent « Portrait of Pieces » ou au démarrage de « Horizon » qui sonne bien black également.

Mais Numenorean semble désireux de s’extirper de cet éventuel carcan auquel on serait tenté de le restreindre, et pour cela plusieurs éléments vont venir rapidement jouer (avec bonheur) les trublions : des riffs puissants et des sonorités plus modernes qui peuvent ponctuellement rappeler Gojira d’abord (en particulier sur « Coma » et son riff assez évocateur ou sur « Adore » avec ces chœurs masculins qui évoque certains passages des premiers albums des basques). Sur « Horizon » par exemple, dont on a dit qu’il démarrait bien black, les canadiens décident de ne pas s’enfermer sur la durée du titre dans ce registre, en proposant rapidement des passages qui sonnent davantage comme du metal moderne aidés également par la grosse production qui renforce l’efficacité de ces passages.

L’autre orientation choisie par les canadiens est celle de proposer aussi des passages plus mélodiques (voir mélodieux, comme à 2min25 environ toujours sur « Horizon »), mélancoliques même, et cet astucieux mélanger de rage, efficacité et beauté mélodique caractérise bien le groupe et fait la grande force des meilleures pièces de cet album, que sont « Portrait of Pieces », « Horizon », « Regret », « Coma » (qui démarre d’ailleurs avec le versant le plus mélodique du groupe), et surtout le fantastique morceau-titre « Adore » qui synthétise parfaitement la variété et la totalité des registres abordés par le groupe sur 8min42 qui passent à toute vitesse tant elles sont superbes (avec même une petite coupure acoustique à 3min45 avant que le morceau ne s’envole littéralement par la suite, en particulier avec ce riff de bâ-tard vers 5min30). En clair et sans décodeur, c’est beau, mais c’est aussi efficace et assez jouissif et c’est clairement ce qui fait la force de Numenorean.

Histoire de bien marteler le fait que la mélancolie est centrale pour le groupe, celui-ci va utiliser quelques interludes (sans compter le court final acoustique « Ddhs » lui-même), un instrumental (« And Nothing Was the Same » qui aurait pu être la conclusion de « Horizon »), mais aussi deux morceaux chantés, courts, sur lesquels Brandon Lemley va recourir à sa (très belle) voix claire (« Stay » sur lequel l’instrumentation discrète mais riche joue aussi un rôle clé, et « Alone ») pour un résultat très convaincant permettant de varier fort justement le propos et de renforcer la coloration mélancolique, voire triste, qui semble partie intégrante de l’ADN du groupe. Mélancolique donc mais pas geignard, même si on imagine aisément que c’en sera trop pour les plus trve d’entre nous qui n’apprécient le black que raw ou a minima bien furieux et qui risqueraient d’effectuer un parallèle entre Numenorean et Alcest (que personnellement je n’aime pas) même si à mon sens le premier reste bien plus intéressant que le second.

Le rôle de Brandon Lemley est central sur cet album puisque le canadien semble maîtriser à la perfection les différents styles de voix auxquels il s’essaie sur la durée de l’album, black, claire, mais aussi grognée (sur « Coma » encore) même s’il est aussi vraisemblablement secondé par un camarade du groupe sur « Alone ».

Insolent de maîtrise, refusant de se cloisonner dans un genre étriqué (à ce titre ce nouvel album me semble encore plus varié et évocateur de cette volonté d’émancipation que le premier album, toute réserve gardée, car je ne le maîtrise pas encore totalement étant passé à côté à sa sortie en 2016) Numenorean renvoie les autres groupes de post black au bac à sable et atomise la concurrence.Top 2019 évidemment.

Tracklist :
1 – Nocebo
2 – Portrait of Pieces
3 – Horizon
4 – And Nothing Was the Same
5 – Regret
6 – Stay
7 – Coma
8 – Alone
9 – Adore
10 – Ddhs

Un excellent album, varié sans pour autant se disperser, qui puise dans ses racines (le Black est ici une base indéniable mais largement digérée) pour mieux les détourner, et offrir un Metal moderne à la production impeccable.
J’avais déjà beaucoup apprécié cette démarche amorcée sur Home, mais là on frôle le coup de maître.