Les effluves de l'encre

P’tain la chance Gromy… Moi j’ai glissé à 2h30-3h.

On a un peu oublié aujourd’hui Maurice Barrès, qui était l’un des auteurs littéraires les plus importants sous la IIIe république, apprécié très largement au-delà de ses engagements nationalistes. J’ai retrouvé dans la bibliothèque de feu mon oncle “La colline inspirée”, récit romancé à base authentique de l’apparition et la répression d’une petite secte hérétique formée par trois frères prêtres autour de la colline de Sion, en Lorraine, au XIXe siècle.

Barrès a trouvé les angles de vue donnant à l’histoire un certain intérêt, mais son style aujourd’hui désuet est trop souvent indigeste, gonflé d’emphase et de tremolos sur des chapitres entiers. Cela correspond cependant à l’esprit de son temps, une influence tardive du romantisme où les émotions causées par la nature et les lieux ont souvent une tournure spirituelle. Le succès de Barrès en son temps vient en partie de là. On peut aussi rapprocher cette oeuvre de la littérature régionale. Un Lorrain de nos jours appréciera sans doute mieux que d’autres, mais quiconque aime son pays peut comprendre au moins sur l’essentiel ce que l’auteur veut dire. Le mysticisme omniprésent est sans doute exacerbé par la confluence de sentiments à la limite du païen et de la tradition catholique dans laquelle cela reste pourtant inscrit. N’empêche que les bases profondes, la terre et les morts, ne sont pas exceptionnelles en fin de compte. Les phrases ampoulées n’exaltent que des élans plutôt simples. Peut-être qu’un fan de Black s’y retrouverait.

C’est fait, mais je ne suis pas sûr d’y revenir un jour.

J’aime assez la Colline Inspirée mais comme toi je renâcle en partie devant une syntaxe trop calorique. C’est en effet le roman témoin de la façon dont Goethe pouvait irriguer certains esprits français.
Je préférerai sans ambiguïté les drames campagnards plus sobres d’un Bourget, d’un Duranty… Et quant à accepter un certain excès de verbe et de religiosité, les foudres d’un Léon Bloy.

Goethe, ouais. Je n’y avais pas pensé et quand on l’évoque je réponds par réflexe que c’est trop facile de le caser dès qu’on fait la moindre allusion au romantisme, sauf que dans le cas de ce roman c’est incontestable.
Bourget est sur la liste, mais peut-être pas tout de suite. Il y a quelques années je traînais avec des gens qui adulaient Bloy dont le style plus polémique et drôle me conviendrait sans doute mieux, mais j’ai tellement associé son nom à ces relations rompues dans une certaine violence qu’il faudrait que je le redécouvre par un autre biais.

Bah dis toi que je t’invite cordialement à picorer La Femme Pauvre et Le Désespéré pour commencer et ça peut suffire. Ainsi que le vertigineux essai Dans les Ténèbres pour un regard caustique sur son temps alors que lui en termine.

Que je sache nous n’avons pas encore rompu avec violence, ça devrait le faire !

je parlais de Moon pas de Gromy :wink:

Gné ?

Ah merde, je sais pas pourquoi j’ai cru que Krakou s’adressait à toi :smiley:

ouais j’avoue que le sommeil n’est ABSOLUMENT pas (encore?) un problème pour moi.
Oui … exemple : hier soir c’était long … ça m’a saoulé. Ca a duré genre … 2 minutes.
et je peux quasiment m’endormir où je veux, comme je veux. ne me mettez pas dans le noir pendant 20 secondes :slight_smile:

C’est une chance incroyable, pour ma part dormir a toujours relevé du parcours du combattant. Rester endormi suffisamment encore plus, et bénéficier d’un sommeil un minimum récupérateur encore plus. :o

et t’as des enfants ?

Perso avec ma petite de plus de 2 ans et demi, ouais c’est fréquent de se faire réveiller et devoir gérer des trucs, maladies etc … mais globalement quand t’as un enfant … ton sommeil change, la qualité de celui-ci aussi … et la reconnaissance d’avoir une nuit pleine aussi :slight_smile:

Pas d’enfants, j’ai toujours eu des problèmes depuis l’adolescence (vers 15 ans). Je suis de facto inapte à en avoir de toute façon.

Depuis quelques années mûrissait l’envie de relire de la High Fantasy. Je n’avais pas accroché au Trône de Fer après avoir vu quelques épisodes des premières saisons, mais cela avait au moins semé durablement une envie plus générale. À dire vrai, après l’exploration assidue de la Terre du Milieu entre le collège et le lycée, je m’étais contenté uniquement de bandes dessinées et films dans le genre. En fait j’avais peur de me plonger dans un raté et d’en revenir durablement déçu de tout un rayon de littérature.

Sur recommandation comme reprise prudente, j’ai donc attaqué “la Belgariade” peu avant le confinement, qui a aidé à finir ce cycle de David Eddings (mais avec l’aide de sa femme) plus vite que prévu. Ou comment un jeune garçon de ferme, suivant le schéma classique, va devoir partir à la découverte de son monde dans une quête destinée à le transformer pour le sauver. En profondeur, c’est surtout l’histoire du passage de l’enfance à l’âge adulte, non seulement pour le héros central mais pour un grand nombre de personnages secondaires autour de lui. Cela se ressent même dans l’évolution stylistique d’un volume à l’autre : l’affaire démarre comme un roman tranquille pour adolescents, puis suit un schéma linéaire où le mal et la magie prennent peu à peu place, s’ajoutent aussi des personnages qui restent très stables une fois la première impression faite. La narration et les comportements vont légèrement se complexifier au dernier volume, par nécessité.

On aurait beau croire, ce monde imaginaire conserve une mentalité américaine. La géographie est vaste mais assez simple, tout le monde est monolingue à part quelques peuplades exotiques, pas de races humanoïdes non humaines, les créatures originales sont toujours de grosses méchantes qui font peur, l’or et le business sont des passions… Mais un humour constant bien anglo-saxon fait passer tout ça et compense même partiellement le fait qu’Eddings n’a pas la finesse poétique du maître d’Oxford.

Sous ce vernis d’impertinences mesurées, toute l’histoire demeure très morale et on en vient à craindre rapidement que cette lutte entre bons et méchants bien répartis n’aboutisse à une happy end totale destinée à tous les âges et tous les milieux. La puissance de certaines scènes et la justesse de certaines émotions (notamment chez les personnages féminins, grâce aux conseils de Mme Eddings) nous garde quand même de toute mièvrerie. Et l’on se surprend à s’attacher à tous ces personnages.

La nature pédagogique de cette oeuvre lui procure ce fond qui fait les grands classiques universels, au-delà de ses limites. Elle peut toucher ainsi n’importe quel lecteur, amené à retrouver une expérience humaine fondamentale en compagnie de personnages imaginaires dans un monde qui n’existe pas. On comprend pourquoi la Belgariade est souvent cité parmi tous les classiques pour initier de jeunes lecteurs au genre. Je ne pense pas me jeter dès demain sur le cycle qui y fait suite (« La Mallorée »), mais celui-ci était effectivement une valeur simple et sûre remplissant les fondamentaux d’un bon roman.

Si tu ne les as pas déjà dévorés, je ne saurais que te conseiller la Trilogie de la Première Loi (soit L’éloquence de l’épée, Déraison et sentiments et Dernière querelle) de Joe Abercrombie. De la « Dark » Fantasy violente et cynique et des antihéros attachants.
Si tu préfères ne pas te lancer dans une trilogie, tu peux commencer avec la novella Servir Froid qui se situe dans le même univers, et certains personnages présents dans les romans.

Abercrombie oui, ses romans jusqu’à The Heroes sont très bons, la psychologie des personnages et le détournement des clichés fantasy habituels sont habiles. Je l’avais interviewé il y a quelques années. Charmant personnage.

Les Africains, histoire d’un continent. John Iliffe

J’ai ce livre depuis des années dans ma bibliothèque, je m’y suis mis seulement récemment, c’est un pavé de 600 pages assez imbitable mais passionnant quand même. Très académique, par un universitaire Anglais.
Forcément le type essaye d’aborder l’histoire de toute l’Afrique de la préhistoire à aujourd’hui, vaste chantier. Ça part dans tous les sens avec des noms de peuples, de villes innombrables, l’Afrique à connu des milliers de formes politiques, des milliers de royaumes, empires.

Au final, ce que j’en retiens de plus marquant est que l’Afrique est un continent cruel pour les hommes, plus cruel que tous les autres. La nature y a toujours été hostile, les épidémies, les maladies, les parasites, les sécheresses et inondations constantes. Pas une vie d’Africain s’est déroulée sans être confrontée à des désastres, il y a eu partout de tout temps des famines régulièrement. L’extrême variété des hommes à donc créé une rivalité incessante pour la survie en milieu hostile. La natalité étant très mauvaise, elle a toujours été une question primordiale et ce n’est pas étonnant qu’elle explose aujourd’hui. Une autre considération constante en Afrique subsaharienne à été de défricher la forêt, ça a été l’idée fixe pendant des siècles, les peuples Africains dès qu’ils arrivaient à faire se déveloper leur population envoyaient des colons s’attaquer à de nouvelles terres, ça prenait des vies entières pour couper une forêt.

C’est en partie le Black Lives Matter qui m’a fait commencer. Ça ferait du bien aux revendicateurs indigénistes de lire ce genre de textes, se renseigner, celui là ou un autre. Les occidentaux ont certes foutu la merde, mais l’auteur n’est par exemple pas capable de trancher sur l’effet de la traite Atlantique en terme de population, déjà car ça été une traite parmi d’autres, la locale était omniprésente, mais aussi car les occidentaux dès le 16ème siècle ramenaient des techniques et aussi des aliments d’Amérique du genre maïs ou manioc qui ont permis à des populations de mieux survivre. La banane longtemps avant importée d’Asie avait eu aussi un effet. A la base en Afrique, il y avait peu à bouffer et rien ne se conservait vu la chaleur et l’humidité.

Intéressant voyage au sein des diverses philosophies dans le rapport à la Nature, jusqu’aux théories environnementalisto-ecologico actuelles, pour un bilan mitigé. Belle lecture

Un peu comme en musique il a fallu que Roger Scruton meure au début de cette année pour que je me dise qu’il était temps de s’attaquer à son oeuvre. Par facilité j’ai choisi “De l’urgence d’être conservateur”, traduction de “How to be a Conservative” (titre originel plus pertinent), l’une de ses dernières productions. L’auteur a beaucoup contribué à refonder intellectuellement la pensée conservatrice dans un monde anglo-saxon où ce mouvement est certes resté plus vigoureux que par chez nous. Pour autant, il connaissait bien la France où il a vécu. Même si sa pensée s’est développée dans cette autre culture elle est intelligible, et intègre aussi parfois des idées venues de chez nous ou d’ailleurs encore.

L’intérêt de ce travail est de penser un conservatisme pour notre époque, alors qu’en France on n’y réfléchit plus depuis deux siècles. Il entreprend notamment de le concevoir dans une société sécularisée. En se colletant à plusieurs autres idées politiques en vogue et à des débats d’une actualité encore proche (le Brexit en tête), il dessine peu à peu sa pensée, parfois de manière originale. C’est spécialement intéressant lorsqu’il s’intéresse au libéralisme pour admettre que certains combats étaient communs avec le conservatisme, mais aussi pour critiquer les insuffisances du libéralisme actuel et en séparer sur le fond son conservatisme avec lequel il est souvent confondu.

L’expérience humaine propre de l’auteur fonde largement sa pensée : son amour pour son pays et la campagne anglaise, son activisme en Europe de l’Est dans les années 80 lui ayant valu une interdiction de séjour peu avant l’effondrement du communisme. Il y a surtout un goût profond pour la beauté ancienne qui est à la base de tout le reste.

C’est un livre intellectuellement vivifiant et je pense que je le rouvrirai assez régulièrement sur tel ou tel point.

Et qu’est-ce que tu en retires du point de vue politique ? Tout ce que j’ai lu de Scruton était très original, à des années aussi bien du conservatisme contemporain anglosaxon que de la droite française.

Hou là, comme c’est autant un manuel de combat qu’une réflexion d’ensemble, il faudrait résumer quelques centaines de pages allant tous azimuts.
Cependant au niveau britannique, avec le Brexit c’est justement ce conservatisme plus traditionnel qui a pris sa revanche sur le libéralisme, qui avait conquis le pouvoir dans le parti et dans le royaume depuis Thatcher puis était resté assumé ensuite par Tony Blair. May s’était montrée plus soucieuse de la classe moyenne y compris des ouvriers, et favorable à une part d’intervention active de l’Etat dans l’économie et la société. Johnson a exprimé des condoléances publiques à la mort de Scruton.

Quant à la France, il n’y a plus de pensée conservatrice depuis la mort de Chateaubriand… Le Gaullisme en intègre certes une part mais ce n’est pas cela à la base, même si par analogie avec le reste du monde les commentateurs étrangers surnomment souvent le parti gaulliste comme le parti conservateur. Aujourd’hui c’est morcelé en trois avec les plus natios qui sont partis au RN depuis un moment, et les plus craintifs à court terme que Macron drague continuellement avec succès en nommant des premiers ministres choisis pour leur plaire. Scruton fonde intelligemment un conservatisme sécularisé, considérant la religion anglicane comme un fait précieux où nait une bonne part de la culture nationale, mais n’y fonde pas ses raisonnements. Chez nous, on envoyait encore récemment ce brave Bellamy refaire la tournée des salles paroissiales, avec le résultat que l’on sait.

EDIT : j’ai retrouvé la vidéo où Scruton parlait de Spiral Architects. Le groupe. Oui :

Sir Roger Scruton on Lady Gaga